ECLAIRAGE : les francs-maçons, société secrète ou juste discrète?
Société «secrète», entourée d'une aura de mystère et de soupçons (opacité, lobbying, influence, connivences, affairisme, corruption, voire complotisme...), la franc-maçonnerie est depuis toujours un sujet qui chatouille l’intérêt des médias français. Un bon vieux marronnier, qui mêle histoire poussiéreuse (Lumières, IIIe République), enjeux politiques, vieux scandales... Des francs-maçons lyonnais sont récemment venus au Club pour lever un bout du voile sur leur engagement et leurs pratiques. Où le mystère fait "pschitt"?
Cet article a été proposé par Arthur Schirlin, jeune diplômé en journalisme (ISCPA Lyon, 2022), et nouvel adhérent au Club, suite à une rencontre avec la presse organisée au Club le 26 septembre 2022, pour lancer les "13e Rencontres culturelles maçonniques lyonnaises" d'octobre. Il a été co-écrit avec notre délégué général. Cet article n'est pas une enquête, mais le simple reflet des échanges entendus au Club. Il se veut comme un éclairage particulier, une petite fenêtre ouverte sur cet univers réputé comme fermé.
Légende photo principale : Raphaël C. (à g.) et Bernard Fieux, commissaire des Rencontres culturelles Maçonniques Lyonnaises d'octobre 2023.
Ce soir-là, ils sont deux : Bernard Fieux et Raphaël C.. Deux "frères maçons" du Grand Orient de France (GODF, la plus importante obédience de France en nombre de membres), sortis de leur temple pour rencontrer la presse et les étudiants en journalisme lyonnais. "On n'est pas venus vous parler du GODF mais de la franc-maçonnerie en général, organisée au sein de fédérations nationales (obédiences) qui représentent les loges en France. Chacune de ces obédience a sa spécificité, même si toutes partagent un socle commun de valeurs fondamentales."
Pour l’occasion , Bernard et Raphaël ont apporté avec eux un compas et une équerre en acier : deux symboles maçonniques. Et un gros livre : "La franc-maçonnerie pour les Nuls", écrit par un autre "frère". "Il y a tout dans ce livre: il est vraiment complet. Et vous verrez que les francs-maçons ne se veulent pas secrets, mais seulement parfois discrets. La preuve, on est là devant vous, et vous pouvez nous poser toutes les questions que vous voulez".
- Pourquoi êtes-vous entrés en maçonnerie?
"Pour une simple et même raison : devenir des Hommes meilleurs afin de contribuer à notre niveau à l’amélioration de la société . Au départ, chaque maçon se voit comme une pierre brute, qu'il faut tailler et polir sans relâche, pour construire son "temple" intérieur et, ensuite, contribuer à faire grandir le grand édifice de l’humanité en apportant sa pierre à la « conscience collective », la citoyenneté universelle que nous voulons bâtir. D'où les symboles de l’équerre et du compas issus des constructeurs de cathédrales", expliquent-ils en chœur. Et notre pierre angulaire, c’est la République et son principe de laïcité.
- Comment se déroulent vos réunions à huis clos ?
"En fait, une loge maçonnique, c'est avant tout un groupe de réflexion et d'amélioration de soi et, plus prosaïquement... une association déclarée en préfecture (loi 1901) : question "secret", vous avouerez qu'on a déjà fait mieux ! On se réunit deux fois par mois au cours de soirées (les "tenues") où les discussions (uniquement orales, sans prises de notes) sont denses, intenses, sur des sujets humains et sociétaux variés. Ces «tenues» sont complétées par des travaux individuels, des travaux en groupe et des travaux collectifs, «les études de loges», objets de synthèses."
- Concrètement ? Quels sont les sujets qui occupent actuellement vos débats?
"Quelques exemples : les questions de santé publique et de bioéthique, de fin de vie, le développement durable, , des questions propres au numérique et à l’intelligence artificielle. Ou encore les questions de citoyenneté européenne, de politique migratoire, le triptyque liberté-égalité-fraternité : valeurs ou croyances? En franc-maçonnerie, la liberté et l’universalisme sont des valeurs fondamentales : on ne s'interdit aucun sujet."
- Comment gérez-vous ces débats? Ca doit être agité !
«Eh bien, non parce qu'en franc-maçonnerie, on ne se coupe jamais la parole. On ne se répond d'ailleurs pas en direct. Chez nous, on appelle ça la "triangulation": la parole est distribuée par le "vénérable" (le président de la loge, élu pour 3 ans maximum au GODF), tour à tour à tous les frères et sœurs qui souhaitent la prendre, assisté par deux "surveillants". C'est à lui qu'on s'adresse, on n'est ni dans le débat frontal, ni dans le jugement, ni dans l’interpellation et encore moins dans le café du commerce. Et on ne reprend la parole qu’une fois que tout le monde s’est exprimé. Ainsi, chacun partage ses idées, sait qu’il sera écouté, et qu’il doit prendre le temps d'écouter l'autre. C'est très stimulant, intellectuellement parlant. Et tout ceci contribue à atteindre une forme de perfection dans le débat. Au sein d'une loge, on accède à une liberté totale et à une égalité de parole dans une ambiance fraternelle et respectueuse. D’une dizaine de membres à plus de 50 personnes par loge, chacun.e aura son mot à dire. Tolérance, laïcité et liberté absolue de conscience (on est libre de croire ou de ne pas croire en un dieu) sont nos maîtres-mots. Altruisme, solidarité et entraide complètent le tableau.»
- On dirait un «culte»?
«Il est vrai que nos tenues ne sont pas qu’un simple exercice intellectuel. C’est plus profond. Le maçon agit sur lui-même pour ensuite agir sur la Société. On construit et on pratique une forme de « spiritualité laïque et humaniste. ». On n’est pas un ordre contemplatif : depuis toujours, la franc-maçonnerie s’est opposée à toute forme d’absolutisme et d’obscurantisme.
Nos travaux peuvent avoir une application très concrète dans la Société. De nombreux francs-maçons sont engagés dans la société et œuvrent utilement à son développement. Raphaël par exemple est engagé au sein de structures de l’éducation populaire et de l’ESS (Économie Sociale et Solidaire) au service des publics les plus défavorisés. Mais rassurez-vous : les francs-maçons sont des gens sérieux, mais qui ne se prennent pas au sérieux. Nos «tenues » en loge sont très codifiées et se continuent toujours par des travaux de table, «les agapes», dans une ambiance détendue et conviviale...»
- Pourquoi ne diffusez-vous pas ouvertement le résultat de vos travaux?
«Parce que chaque loge est souveraine et indépendante, que nos travaux sont d’abord oraux (sans prise de note) et qu'une loge ne prend pas la parole au nom de ses membres. Mais certaines questions dites «à l’étude des loges», peuvent faire l’objet de remontées de terrain aux niveaux régional et national, pour donner lieu à une synthèse en vue d’une diffusion plus large : les maçons du GODF ont une revue (baptisée «Humanisme») et récemment cette obédience a publié un livre blanc en 2021, en pleine pandémie pour apporter ses réflexions sur le « Monde d’Après ». Il existe désormais aussi des conférences publiques, des blogs tenus par des maçons et des webTV maçonnes sur YouTube. On peut donc assez facilement trouver des informations sur nos travaux.»
- Pourquoi les francs-maçons ne s'affichent-ils pas ouvertement comme tels dans leur engagement politique, syndical, culturel ou autre...?
"Tout simplement par souci d'humilité, de discrétion et parce que c’est la liberté de chacun de le faire ou non. Notre démarche est très personnelle, intime et profonde. On travaille avant tout sur nous-mêmes pour façonner un monde meilleur. Chaque maçon.ne est libre de révéler qui il est. ou de garder ça pour lui.
La franc-maçonnerie à Lyon est très présente depuis très longtemps : de nombreuses personnalités lyonnaises ont choisi de se « dévoiler ». Carrefour historique des cultures, Lyon à toujours été une ville où l’église, la politique et la franc-maçonnerie ont pu cohabiter sans problème. La tradition humaniste des Lumières est très ancienne dans la Capitale des Gaules. Lyon a la réputation d’être une ville maçonnique (elle était la seule avec Paris à compter plus de 20 loges dès 1789). Les Lyonnais connaissent l’appartenance maçonnique de quelques personnalités qui ne se cachent pas, mais sans doute moins celle du sculpteur alsacien Bartholdi (auteur de la fontaine des Terreaux et de la Statue de la Liberté) ou de Joséphine Baker. Il existe des listes de francs-maçons célèbres sur le Net, comme par exemple celle-ci (cliquer ici).»
- Mais certains maçons en profitent aussi pour travailler leur réseau, ce qui alimente les suspicions, non?
«Vous savez, les cabinets de lobbying ont bien plus d’influence que nous. Ils ont pignon sur rue et c’est leur métier. Influence et maçonnerie, honnêtement, ce n’est plus un sujet. Dans nos loges, par exemple, il est absolument proscrit de parler de religion, de politique, de faire du réseau ou du «business». Ici, c’est le développement personnel et le travail collectif qui priment, et celles et ceux qui veulent apporter le fruit de leurs réflexions maçonniques dans leur activité quotidienne et dans leur environnement proche sont libres de le faire.»
- Comment rejoint-on une loge ?
«La franc-maçonnerie n'est pas fermée : si on est animé par les bonnes motivations, on y entre facilement. Et on peut encore plus facilement en sortir. Et les loges lyonnaises sont ouvertes à toutes les CSP, à toutes les idées politiques (sauf extrémismes contraires à nos valeurs) : on veut éviter de se retrouver entre gens du même profil, pour enrichir nos débats.
Les "profanes" (comme on appelle les "non-initiés) entrent traditionnellement chez nous en étant cooptés par des frères et soeurs initiés, mais depuis quelques années, certaines loges proposent aussi des formulaires de contact sur leur site web. Il y a tout un parcours initiatique avant de devenir frère ou sœur. On est d’abord «apprenti», puis «compagnon» avant d’atteindre la «maîtrise». Certaines loges mettent en place un binôme où l’apprenti est accompagné d’un "jumeau".
Toutes les sollicitations sont l’objet de rencontres pour apprécier les candidats-es (la dernière consistant à une séance les yeux bandés devant la loge au complet) pour s'assurer que les valeurs et la personnalité des candidats sont compatibles avec le groupe.
«Un «initié», c’est avant tout quelqu’un qui «initie un chemin de vie, de réflexion sur lui-même». Enfin, être franc-maçon, c’est un vrai engagement : on s’engage à participer deux fois par mois à des «tenues» souvent très denses. Et puis, nous sommes des associations loi 1901 avec des frais d'adhésion (quelques centaines d’euros par an). Quand une loge devient trop grande (plus de 50 personnes), elle peut décider «d’essaimer».
- Comment faire si on veut en savoir plus sur la maçonnerie à Lyon et dans sa région?
«Les loges organisent régulièrement des tenues ouvertes aux profanes (on parle alors de tenues blanches ouvertes»). Mais le plus simple, c'est de venir aux "Rencontres culturelles maçonniques lyonnaises» qui auront lieu le week-end des 22-23 octobre 2022 à Villeurbanne (lire notre encadré) : elles sont ouvertes à tous les publics et vous permettront de rencontrer des maçons lyonnais d'une dizaine d'obédiences, mais aussi de nombreux auteurs et autrices de livres sur le sujet.
Voilà, j'ai dit(*)».
Note des auteurs : vous pouvez aussi participer au "Café Maçon" organisé depuis des années le premier jeudi du mois à Lyon (lire notre encadré). On a essayé, début octobre. Ce soir-là, le thème était : «Liberté, égalité, fraternité sont-elles des valeurs universelles ou seulement occidentales ? » Au final, la triangulation marche plutôt pas mal. Et les sujets sont vraiment intéressants...
(*) C'est par ces mots que s'achève toute prise de parole lors des réunions maçonniques. Mais lisez aussi nos 3 encadrés ci-dessous !
Textes : Arthur Schirlin et Boris Heim (DG du Club)
Photos : Boris Heim, Club de la presse de Lyon
- Encadré 1 : «Maçon, un café !»
Le "café maçon" de Lyon est une initiative originale lyonnaise qui n'a pas d'équivalent ailleurs, nous assure «Pierre», un des francs-maçons à l’origine du projet.
Il a été créé en 2011 par des francs-maçons d'obédiences différentes dans l'intention d'instaurer un lieu d'échange et de partage avec le public. Très vite il est apparu judicieux de partager aussi l'organisation. Depuis, l'équipe des cafés maçons de Lyon est mixte (elle allie francs-maçons et non-francs-maçons). En 2013, les organisateurs ont structuré ce RDV en association Loi 1901 pour assurer la pérennité de l'initiative.
Le principe : francs-maçons et non-francs-maçons dialoguent sur des questions de société. Le thème est amorcé par une réflexion maçonnique, puis les participants construisent leur réflexion en commun. Les échanges sont structurés et répondent à des règles inspirées de la méthode maçonnique. On respecte la parole de l'autre, on ne porte pas de jugement de valeur, on ne cherche pas à avoir raison, on réfléchit ensemble, on s'écoute. Ce RDV est ouvert à tous, maçons ou non-maçons, et les participants peuvent inviter des amis.
Déroulement : le café ouvre sur deux textes, un texte dit «Visiteur» et un autre dit «Maçon». Chacun aborde le thème sous un aspect particulier. Ensuite la discussion est dans la salle...
Date : le premier jeudi du mois de 18h30 à 20h
Lieu : Café de la Cloche, 2 rue de la Charité, 69002 Lyon. Pure coïncidence : c'est dans cette rue que siégeait le Club de la presse avant de migrer au 5 rue Pizay.
Contact : cafe.macon.lyon@gmail.com
- Encadré 2 : Les Rencontres maçonniques d’octobre 2023 à Villeurbanne
Et vous ? Si vous vous faisiez votre propre idée sur le sujet ? Tables rondes, exposition, séances de questions-réponses, spectacle... Pour faire oeuvre de transparence et expliquer leur «recherche de sens», les grandes obédiences présentes à Lyon et dans sa région invitent le grand public les 22 et 23 octobre 2022 aux Rencontres Culturelles Maçonniques Lyonnaises : elles se tiendront au Centre Culturel et de la Vie Associative de Villeurbanne (234 cours Emile Zola). Le programme complet est ici : www.salonlyonnaisdulivremaconnique.net
- Encadré 3 : Les maçons, combien de divisions?
En France, il y a plus de 100 000 maçons-es répartis dans une grosse dizaine d’obédiences En Auvergne-Rhône-Alpes, Bernard et Raphaël les estiment à plus de 10 000, Ce sont « majoritairement de jeunes hommes et femmes de notre âge, sourient les deux sexagénaires, mais provenant de toutes les tranches sociales".
Ces rencontres culturelles maçonniques ont également pour but de toucher les jeunes (25-35 ans). L’obédience du Grand Orient de France (GODF) à laquelle appartiennent Raphaël et Bernard est la plus importante de l'Hexagone. Celle-ci rassemblerait quelque 45 000 membres sur l’ensemble du territoire et est reconnue comme une association (loi 1901). Chaque obédience s'organise en multiples loges, mixtes ou non, regroupant d'une dizaine à une cinquantaine de membres environ. «Certaines loges sont mixtes, d’autres exclusivement masculines ou féminines. La tendance générale en France va vers la mixité, même si la franc-maçonnerie évolue lentement sur ce point », explique Bernard Fieux avec un clin d’oeil appuyé.
Encadré 1 : Boris Heim.
Encadrés 2 et 3 : Arthur Schirlin
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