Talents d'adhérent : il dénonce l'oppression des journalistes égyptiens
Le journaliste égyptien Mohamed Abdel Azim (63 ans), qui a mis en place le service arabe d’Euronews en 2008, vient de sortir son quatrième livre : «Moqattam», un docu-fiction sur la saga d’un vrai journaliste opposant au régime du Caire, qui a provoqué l’étincelle qui a conduit à la révolution de la place Tahrir en 2011. L’occasion d’une discussion avec l’auteur, où il est question de liberté de la presse. Oui, cette liberté qu’on croit, chez nous, si évidente et définitivement acquise...
Pouvez-vous nous raconter votre parcours professionnel ?
Lors de mon arrivée en France, en 1981, je ne dispose que de mon diplôme (une Maîtrise en sociologie des Mass Media) et de ma langue maternelle : l’arabe. Je propose alors mes idées aux différentes rédactions des radios communautaires actives à Paris (Radio Soleil, Radio arabe de Paris, Radio Maghreb, Radio Orient, etc.). Mes émissions et animations de débats me conduisent naturellement vers la Maison de la Radio : c’est à Radio France Internationale (RFI, service arabe) que je commence vraiment ma carrière de journaliste.
Je rejoins ensuite La 5 de Berlusconi, puis France 3 Paris (Info vidéo 3) avant d’arriver en région lyonnaise, pour finir mes études à Sciences Po et pour créer la rédaction de la petite chaîne locale CTV à Villeurbanne. L’idée est simple : 6 minutes d’images pour les informations locales. Mais, entre nous, TLM avait bien plus de moyens...
C’est avec France 3 et l’émission hebdomadaire Rencontre que je sillonne la France pour les repérages et les tournages des plateaux. Ensuite je rejoins la rédaction nationale de France 3. Lorsque la guerre du Golfe éclate en 1991, je couvre le conflit et je suis très impressionné par le travail de CNN à Bagdad.
À la fin de la guerre, mon directeur de l’information me propose de collaborer au lancement d’une chaîne européenne d’information. C’est la naissance d’Euronews. Je me trouve alors parmi les journalistes qui arrivent à Écully, en 1992, pour le lancement de cette chaîne internationale en janvier 1993. En 2008, je mets en place le service arabe d’Euronews.
De quoi parle votre roman MOQATTAM ?
Mon livre décrit un univers dans lequel le journaliste est “persona non grata”. Le raïs de l’époque, Hosni Moubarak, considère en effet que sa politique ne peut jamais être l’objet de la moindre critique. Point barre. Circulez, il n’y a rien à voir.
MOQATTAM (Ndlr : c’est le nom d’une chaîne de collines proches du Caire) questionne donc la culture du parti unique, qui empêche tout espoir de pluralisme. En Egypte, le journaliste se retrouve coincé entre le régime et les commerçants de Dieu, avec à la clé arrestations arbitraires et emprisonnements injustifiés dans un environnement étouffant, sans espace public pour parler ou se concerter librement, exprimer une différence de point de vue. Où il est extrêmement et dangereux d’évoquer les droits fondamentaux et la liberté de l’information.
C’est une problématique majeure dans toutes les sociétés arabes depuis des décennies, voire des siècles. Je pense qu’il est temps que ces sociétés abordent, avec calme, la question de la liberté de la presse.
Est-ce un roman ou une docu-fiction ?
MOQATTAM est un roman tiré d’une histoire vraie : celle d’Abdel Halim Quandil, un célèbre journaliste égyptien (médecin de formation, rédacteur en chef du quotidien indépendant Sawt El Oumma : Voix de la Nation (lire note de bas de page 1).
Sa puissante plume mettait le régime Moubarak face à ses responsabilités politiques. Il est le co-fondateur du mouvement Kefaya (Assez) en 2004. Ce mouvement est l’un des plus actifs dans le déclenchement de la révolution de la place Tahrir, en 2011 (lire note de bas de page 2).
Ce journaliste ne faisait que son travail en dévoilant dans les pages de son journal (Sawt El Oumma) les erreurs du raïs et aberrations de son règne : il mobilisait tout simplement tout son talent au service de la vérité.
Il devient alors la voix des pauvres, met à mal la parole de la classe dirigeante et son armada propagandiste. Ses articles provoquent l’ire des responsables politiques : le journaliste est kidnappé et abandonné nu dans le désert oriental du pays (lire note de bas de page 3).
À travers lui, je rends hommage à nos consœurs et confrères qui, pour exercer leur métier, meurent, sont emprisonnés ou s’exilent.
De quoi parlaient vos trois précédents livres ?
Durant ma carrière journalistique, je me suis largement intéressé à la problématique des conflits au Moyen-Orient. Depuis les années 1990, je tente de relater la réalité des conflits armés entre Israéliens et Arabes, par des interviews avec les acteurs ou les décideurs de la région. Durant les années 2000, je mène deux grandes enquêtes sur la bombe atomique israélienne et les guerres ratées de l’armée israélienne. Je les publie dans deux ouvrages en 2006 et en 2008. Puis en 2010, sept ans après le conflit en Irak, je publie mon enquête sur les raisons de la guerre de Georges W. Bush.
Lorsque je couvre la révolution de la place Tahrir en 2011, je suis témoin des tractations politiques entre le régime de Moubarak et les Frères musulmans. Et je suis le témoin direct de la mise en échec de cette révolution voulue par la jeunesse égyptienne.
Avec la revue EurOrient et l’éditeur L’Harmattan, je consacre trois volets aux raisons de l’échec des révolutions en Tunisie, en Égypte et en Irak. MOQATTAM est mon quatrième roman consacré aux contextes sociopolitiques et économiques de l’Égypte sous Moubarak. Dans BOULAQ et LUNA PARK, je relate les conditions qui poussent la jeunesse égyptienne à organiser la révolution, puis dans DÉGAGE !, j’explique le billard à trois bandes qui se joue entre le régime de Moubarak, les Frères musulmans et la jeunesse qui s’est mobilisée sur la place Tahrir.
Comment faire son travail de journaliste dans une dictature ?
C’est évidemment très difficile et risqué. la quasi-totalité des organes de presse sont aux ordres et directement contrôlés par l’État, les services secrets ou quelques riches hommes d’affaires influents, à la botte du pouvoir. Face à eux, les médias qui refusent de se soumettre à la politique de la censure sont bloqués, comme le site d’information indépendant Mada Masr, inaccessible en Égypte depuis 2017.
C’est une évidence ; la culture journalistique dans les pays arabes est drastiquement différente de nos pratiques et valeurs journalistiques, en France et en Europe occidentale. Dans les pays arabes, les dirigeants refusent les valeurs universelles de la presse libre et indépendante. Sur la scène médiatique arabe, le rôle du rôle du journaliste n’est pas perçu comme en France : il n’y a aucun respect de l’autre, les débats sont toujours houleux et tendent à la diabolisation de celui ou celle qui pense autrement, et qui est rapidement taxé de complotisme contre l’ordre établi.
Dans la majorité des pays arabes, les journalistes et défenseurs des droits font face à une répression dure, parfois terrible. L’ONU ne cesse de dénoncer ces pratiques, en Afrique, au Moyen-Orient et dernièrement en Ukraine. De son côté l’UNESCO rappelle sans cesse aux gouvernements la nécessité de respecter la liberté de la presse. Rappelez-vous qu’entre 2010 et 2019, près de 900 journalistes ont été tués dans l’exercice de leur métier. Depuis 2020, quelque 156 journalistes ont perdu la vie.
Et en Egypte, en particulier?
Reporters sans Frontières (RSF) le souligne : l’Égypte est l’une des plus grandes prisons au monde pour les journalistes. Le pluralisme y est quasiment réduit à néant. Les trois quotidiens populaires sont détenus par l’État (Al-Akhbar, Al-Ahram et Al-Gomhuria). En ce qui concerne la radio et la télévision, leur popularité les a enfermées dans un rôle de relais de la propagande politique. Quant aux médias indépendants, ils sont censurés et font l’objet de poursuites judiciaires à répétition.
Il faut noter que les Frères musulmans ont quitté le terrain médiatique égyptien pour s’installer en Turquie et au Qatar d’où ils mènent de violentes attaques médiatiques via leurs chaînes satellite dédiées exclusivement aux attaques contre le régime et ses dirigeants. Enfin, les réseaux sociaux débordent de fake news et de tentatives de contre-infox. L’anarchie est la règle. Et chacun se gargarise avec des mots aujourd’hui vides de sens comme «journalisme», «presse» ou «liberté d’informer»...
Avez-vous gardé des contacts avec des journalistes qui vivent en Égypte ?
Oui, je suis en contact notamment avec des confrères de l’Agence Reuters, de l’agence Associated Press (AP) ou de l’AFP (agence France-Presse). De plus, j’interviens de temps à autre dans des émissions qui traitent de relations internationales. Nos confrères égyptiens nous parlent sans cesse de leurs difficultés face à la censure, aux perquisitions et aux fermetures de bureaux. Des autorisations sont nécessaires pour se rendre dans certaines zones, comme le Sinaï et le canal de Suez.
Mais ils nous racontent surtout la surveillance omniprésente, les campagnes de diffamation, les arrestations, les faux-procès, des disparitions forcées ou encore des détentions arbitraires. Ces maux sont le quotidien des journalistes en Égypte.
Comment vivent-ils la situation politique actuelle ?
Ils vivent dans une ambiance de peur généralisée. Leur parole est minutieusement mesurée. Mais on peut clairement distinguer trois catégories de journalistes en Egypte: ceux qui soutiennent la politique gouvernementale, quelle que soit sa nature. Ces “journalistes” sont mis en valeur par le régime : on les voit partout à l’écran, on les entend à la radio et on lit leurs articles dans les trois quotidiens gouvernementaux. Mais ils n’ont aucune crédibilité auprès de la population. Clairement identifiés, ils sont désignés comme “la voix du pacha” (l’autorité). Ensuite, il y a celles et ceux qui cherchent juste à exercer un métier qui rapporte de l’argent et qui consiste à ne jamais évoquer les sujets qui fâchent : ils relaient juste l’agenda des ministres, leurs déclarations, les inaugurations et autres non-événements protocolaires... Pour eux, c’est ça la vraie mission d’un journaliste ! Ils estiment qu’un journaliste ne doit surtout pas créer de polémique, ni “étaler le linge sale” au vu du public... Seuls les correspondants de la presse étrangère bénéficient d’une petite marge de manœuvre, puisque leurs sujets ne sont pas diffusés en Égypte et restent donc hors de portée de la population.
Vous étiez plusieurs années chez Euronews à Lyon. Aujourd’hui, vous êtes journaliste indépendant. Pour qui travaillez-vous ?
Actuellement, j’interviens comme correspondant pour des médias internationaux, surtout des chaînes de TV étrangères, autour de sujets relatifs à la politique française et européenne. En parallèle, je poursuis mes enquêtes et mes écrits.
Je travaille actuellement sur le phénomène DAECH. Ces égorgeurs sans pitié trouvent leur inspiration dans les conceptions d'Ibn Taymiyah (1263-1328), l'opposant du grand philosophe Averroès. Ils pratiquent les techniques des "Hachahines" chiites, la secte des «assassins» guidés par le perse Ibn Al Sabbah (1050-1124), et font des dégâts énormes dans la pensée profonde des sociétés arabes.
Enfin, je prépare un roman de science-fiction, qui raconte le monde en 2595, car je crois que nous allons tout droit vers un nouvel "Atlantide" cataclysmique. Mais j’espère de tout coeur me tromper...
A côté de votre travail de journaliste-écrivain, vous apportez aussi du conseil aux journalistes en détresse, m’a-t-on dit...
Oui, car vous le savez bien : notre métier connaît de très fortes secousses, une mutation sans précédent depuis l’avénement du digital et des réseaux sociaux. Tout va très vite. Trop vite parfois. Perte de sens, chute des revenus... Cela remet plein de choses en question. Et nos consoeurs et confrères sont parfois déstabilisés. Pour les aider à se remettre en question et aider celles et ceux qui le souhaitent à envisager leur reconversion, j’ai créé ma petite société de conseil, Azim Consulting.
Je travaille avec le célèbre questionnaire RH «MBTI» (Ndlr : très utilisé par les recruteurs et managers aux USA et dans les pays anglo-saxons pour identifier le profil professionnel des candidats ou des collaborateurs en poste). Mon objectif est d’accompagner nos consœurs et confrères en situation de souffrance au travail, ou de reconversion.
Le questionnaire MBTI est un outil puissant de connaissance de soi et des autres : il donne un aperçu assez fidèle de notre profil psychologique, et notamment des préférences qui guident nos choix et nos orientations dans la vie professionnelle et personnelle.
C’est ma façon d’aider les journalistes en cette période si compliquée pour nous tous..."
Encadré : Moqattam - La route vers la place Tahrir (le livre)
Résumé : « Farouche opposant à la politique de Moubarak, Mohsen Boutros n'a cessé d'avoir le rôle qu'aucun homme politique n'a su jouer face au pharaon moderne de l'Egypte. Porteur de sa puissante plume, il est médecin, écrivain, analyste politique et rédacteur en chef d'un quotidien, honni par le régime de Moubarak. Suite à ses critiques à l'encontre du régime égyptien d'avant la révolte de 2011, il est kidnappé et abandonné, nu, dans le désert égyptien. Mais au milieu de cet environnement hostile, son destin est au rendez-vous. Il devient l'un des déclencheurs de l'étincelle révolutionnaire de la place Tahrir, en 2011. L'histoire de ce journaliste met en évidence le chemin épineux sur lequel marche chaque journaliste dans les sociétés arabes. »
Editeur : L’Harmattan (collection « Lettres du monde arabe »)
158 pages, 17 EUR - ISBN : 978-2-343-25596-5
Bio expresse : Mohamed Abdel Azim (63 ans)
Né dans un village au bord du Nil, il quitte l’Égypte en 1981, année de l’assassinat de l’ancien président Anouar EL-Sadate. Diplômé de l’université du Caire (Maîtrise en sociologie des Mass Media) Mohamed Abdel Azim rejoint l’université de la Sorbonne, pour ses études en 3e cycle. Il vient étudier dans la Capitale des Gaules en 1997, puis obtient son doctorat en Sciences Politiques à l’IEP de Lyon, en 2005.
« Je suis issu d’une zone géographique où chaque décennie est rythmée par un ou plusieurs conflits armés », explique ce journaliste de 63 ans. « Depuis mon arrivée en France, je m’intéresse à la problématique des conflits au Moyen-Orient. En ce qui concerne les pays arabes, je tente d’apporter des éléments de réponse aux raisons de notre “collapsus continuel”, depuis des siècles », explique ce journaliste-écrivain.
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Notes de bas de page :
1- Reporters sans frontières : https://rsf.org/en/opposition-journalist-abducted-and-beaten. En 2018, il est condamné à 3 ans de prison, pour une interview, lors de la révolution en 2011 : https://cpj.org/data/people/abdel-halim-kandil/
2- https://www.bidoun.org/articles/enough-is-not-enough. En 2010, il est interdit d’entrer en Jordanie.
3- son enlèvement rapporté par Associated Press : https://web.archive.org/web/20061104022226/www.billingsgazette.com/newdex.php?display=rednews/2004/11/02/build/world/88-egypt-kidnapping.inc
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