TRIBUNE. Regard de deux étudiants sur une profession en crise
"À tout jeune écrivain qui me consultera, je dirai : "Jetez-vous dans la presse à corps perdu, comme on se jette à l'eau pour apprendre à nager", disait Zola. Mettre sa plume au service de la société, pour informer les populations et rééquilibrer la balance démocratique quelle cause plus noble ? Ressentis de deux aspirants journalistes dans un univers en crise, entre précarisation de la profession, fracture sociale et crise démocratique.
"Vous êtes l’avenir". C’est ce qu’on nous a souvent dit avec un regard compatissant et gentillet taisant nos utopies et en dénigrant nos "idéaux de jeunesse" dans le meilleur des cas. Au pire nous recevons des “vous êtes une génération de branleurs” ou encore “de toute façon vous voulez tout tout de suite”. Pourtant nous sommes bel et bien le présent et c’est dès maintenant qu’il faut agir pour opérer le changement face à la crise démocratique. Celle-ci est la conséquence directe de la qualité médiocre du flot informationnel ininterrompu dans laquelle est plongée la société française.
Le sociologue français Alfred Sauvy écrivait : “Bien informés, les hommes deviennent des citoyens. Mal informés, ils restent sujets” : il n’en a jamais été autant question à l'heure où au sein d’une même génération le fossé entre la France de Meurice et celle de Hanouna ne cesse de se creuser. Il est nécessaire d’opérer une transformation radicale dans la façon de produire l’information au risque de rester coincé dans ce cercle vicieux et de finir droit dans le mur.
Les études - comme celles réalisées par le cabinet Technologia, spécialiste de la prévention des risques liés au travail - quant aux conditions et aux évolutions de la profession de journaliste en dressent un sombre tableau et la crise sanitaire ne l’a pas laissé indemne : isolement dû au télétravail, manque d’effectifs et de moyens, précarisation ou encore accentuation de la concurrence interne. Tout cela n’est pas sans conséquences sur la qualité de l’information : ces multi-facteurs entravent la cohésion d’équipe et le sens du travail. La course à l’info exige une vitesse de travail de la part des journalistes de plus en plus accrue, rendant impossible une vérification correcte des sources. La hausse de l’exposition aux violences, (cyber-harcèlement, insultes, violences sexuelles, agressions sur le terrain) induit chez certains une forme d’auto-censure qui impacte directement la liberté d’expression. Ce constat est d’autant plus alarmant lorsqu’on le met en parallèle avec l’augmentation de la défiance du public vis-à-vis du journalisme.
Jean Marie Charon, co-auteur de l'enquête "Hier, journalistes. Ils ont quitté la profession", explique que la réalité de l’activité de journalisme ne correspond pas au “mythe” de l’imaginaire commun. Au même titre que les reins qui éliminent les déchets toxiques du corps, les journalistes filtrent l’information pour extirper toutes infox ou fake news qu’on tenterait d’injecter dans le flux d’informations et qui mettraient à mal la démocratie. Or les reins de la démocratie sont en très mauvaise santé. Certaines institutions proposent des leviers de prévention à l’image du SNJ qui préconise entre autres la mise en place de dispositifs anti Fake-News, garantissant la fiabilité et la véracité de l’information tout en renforçant la confiance des citoyens envers le journalisme. Malheureusement c’est un coup d’épée dans l’océan. Les crises politiques, climatiques, sanitaires, sociales ou économiques rappellent pourtant l’importance de la profession qu’il convient de défendre.
Quant à nous, nous avons cette volonté de défendre la profession, de faire mieux et de la faire évoluer pour mieux correspondre aux contraintes du monde actuel et de demain. Aussi forte soit elle, cette prise de conscience ne peut arriver à terme sans un changement institutionnel profond. Les modèles actuels, n’ont pas bougé depuis des années et ne correspondent plus à la réalité. Il faut impérativement repenser la façon de faire du journalisme. Ce changement doit s’accompagner de la protection d’une pratique journalistique soucieuse de préserver une information libre de toute pression. Cela passe par la consolidation de l’indépendance des rédactions face au phénomène de l’hyper-concentration médiatique, afin d’assurer une autonomie éditoriale par rapport aux propriétaires des titres de presse. Nombreux sont les médias qui n’ont pas pris leur virage numérique et en subissent les conséquences. Pour lutter contre ces dérives qui affectent le fonctionnement démocratique, il est nécessaire de déployer l’EMI à destination de tous les publics (l’Éducation aux Médias et à l’Information). L’objectif étant de mieux décoder les médias et comprendre avec discernement leur importance dans la vie démocratique en renforçant les capacités d'analyse et l'esprit critique de chacun. Être bien informé, c’est agir en citoyen éclairé et pouvoir alors choisir en toute connaissance de cause la société dans laquelle on veut appartenir.
En définitive, le journaliste d’aujourd’hui se doit d’être très réactif, sans pour autant perdre en crédibilité en confondant vitesse et précipitation dans la collecte des informations et leur diffusion. Cette réactivité induit par ailleurs une plus grande polyvalence dans le métier. Informer plus vite dans un monde plus rapide, mais avec le recul et l’objectivité nécessaires, n’est pas une tâche aisée : ce constat pointe la nécessité que ce travail soit confié à des professionnels formés à l’exercice. C’est pourquoi il est également essentiel de revenir aux droits et aux devoirs du journaliste énoncés par la Charte Déontologique de Munich qui est malheureusement ignorée par de nombreuses personnes s'auto-proclamant journalistes.
Enfin, nous finirons par répondre aux préjugés qui nous sont adressés. Non, nous ne sommes pas des “branleurs” et nous savons être patients. Nous sommes prêts à faire des sacrifices mais pas à tout sacrifier. Nous ne voulons pas être des soldats de l’information face aux anciennes générations qui estiment s’être battues pour en arriver là. Nous voulons plutôt apporter une nouvelle vision au journalisme et élargir le traitement des enjeux notamment autour du climat, du vivant et de la justice sociale, valeurs auxquelles nous tenons. Car oui, rappelons-le, il est primordial que le journaliste trouve du sens dans ce qu’il produit.
On est la génération qui peut tout changer. Il faut nous accorder confiance et légitimité pour nous offrir l’opportunité d’acquérir de l’expérience. Trop nombreux sont ceux qui ont été renvoyé à leur soi - disant manque d’expérience et se sont vite retrouvés découragés. Pourtant avoir 20 ans, ce n’est pas rien. À 20 ans, on est plein de ressources et de rêves. C’est un œil nouveau qui s’offre à vous, débordant d’imaginations, de convictions, de bon sens et de réflexions nouvelles quant aux enjeux du monde contemporain. L'heure est à l’échange intergénérationnel. Nous sommes alors les générations qui allons tout changer.
La relève est prête, laissez-lui une chance.
Lucille Giovannelli et Lucas Barrietis
Planche de dessin de presse des auteurs
Les auteurs
- Lucille Giovannelli est étudiante en deuxième année en Sciences de l’Information et de la Communication à Lyon 2 et souhaite devenir journaliste. Passionnée par la politique, la cause environnementale et l’investigation, elle publie régulièrement des dessins de presse autour de questions d’actualité sur son Instagram (ig : la_luce_presse_). Elle recherche un stage pour enrichir ses bases théoriques et multiplier ses pratiques au cœur de la profession de journaliste avec pour ambition d’intégrer l’ESJ.
- Lucas Barrietis est étudiant en deuxième année en Sciences de l’Information et de la Communication à Lyon 2 et a pour projet de devenir journaliste. Correspondant de presse pour le Journal du Bugey la Côtière pendant trois ans, il est passionné par la politique et l’histoire. Il est aussi auteur/compositeur/interprète dans un groupe de rock. A la recherche d’un nouveau projet dans le journalisme dans le but d'enrichir son expérience pour se préparer au mieux aux concours d’entrée aux écoles de journalisme.
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