Talent d'adhérent: elle dénonce un scandale sanitaire dans un livre-enquête
Lyon, le 21 octobre 2022 - Ancienne présidente et adhérente fidèle du Club depuis ses débuts, Jacqueline Maurette vient de co-écrire un livre-enquête où elle dénonce un scandale sanitaire sur des implants de contraception définitive Essure. Après 18 mois d’enquête, le livre a été lancé hier à Paris. «Les révélations que nous faisons, jamais publiées, font la radiographie d’un système qui devait inéluctablement conduire à une catastrophe.» Interview croisée des autrices qui viendront bientôt (en novembre) présenter leur travail au Club...
- Club de la Presse de Lyon : Jacqueline, Delphine, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs?
Jacqueline Maurette : Nous, je dis « nous », car c’est vraiment un livre à deux mains. Nous sommes deux journalistes, leur carte de presse en poche, professionnelles et indépendantes. Delphine Bauer est membre du collectif Youpress à Paris, et autrice de l’ouvrage “Mauvais traitements, pourquoi les femmes sont mal soignées” avec Ariane Puccini (Seuil Editions). Quant à moi, membre du Club de la Presse de Lyon pratiquement depuis sa fondation, j’avais déjà publié sur le sujet des implants Essure dans l’Humanité, après avoir été informée par un ami chirurgien-obstétricien lyonnais, que quelque chose de grave était en train de se passer. Plusieurs femmes se plaignaient de symptômes divers après avoir reçu des Essure.
Photo : Jacqueline Maurette, ancienne présidente du Club, et adhérente fidèle depuis ses débuts (crédit : Boris Heim, Club de la presse de Lyon, octobre 2022)
- C’est quoi, au juste, ces implants?
Delphine Bauer : Les implants Essure sont ce qu’on appelle un «moyen de contraception définitive» : ils se présentent sous la forme d’un petit ressort de 40 mm de long sur 0,8 mm de diamètre, composées d’un alliage de nickel et de titane, et d’un enroulement interne recouvert de fibres de polyéthylène téréphtalate (PET). Ces implants sont conçus pour provoquer une fibrose qui empêche les spermatozoïdes de franchir l’entrée des trompes utérines et d’aller féconder l’ovule. Ils étaient posés par voie « naturelle », donc sans incision et sans anesthésie. À vie. Soyons concret : se débarrasser des Essure passe par une ablation de l’utérus et/ou des trompes de Fallope, des ovaires parfois, donc des mutilation graves. Et même après le geste chirurgical, deux tiers d’entre elles ne retrouvent pas la santé. La question aujourd’hui est de savoir pourquoi. Et ce sont les victimes elles-mêmes qui ont initié des recherches, on devrait avoir des résultats vers la fin de l’année.
- Cela représente combien de victimes ?
JM : 30 000 victimes en France ont dû faire enlever le dispositif sur 198 000 implantés. Dans le mode on estime que 750 000 femmes ont été implantées. Les implants ont été distribués principalement aux États-Unis, mais proportionnellement à la population, la France est en tête.
- Combien y a-t’il de victimes recensées dans la grande région lyonnaise ? Et en Auvergne-Rhône-Alpes?
JM : Nous avons travaillé à l’échelle nationale et internationale et n’avons pas fait de recensement auralpin. Par contre, nous nous sommes fortement appuyées sur le témoignage d'Anne-Cécile Groléas, une victime qui vit à Vénissieux, et sur les travaux de trois Lyonnais : le Dr Gilles Sournies (qui s’est le premier inquiété de ce phénomène en France, et qui avait toujours refusé de poser ces implants), le Dr Michel Vincent, ainsi qu’un avocat de victimes, Me Stéphane Duval.
- Le problème a déjà été dénoncé dans les médias depuis des années : quelles sont les nouveautés que vous avez mises au jour?
DB : La question se pose en effet depuis plusieurs années : de temps en temps, des articles sont sortis au gré de l’actualité. Exprimant pour la plupart la plainte des victimes. Et, dans notre région, l’inquiétude de médecins. En fait, nous sommes les premières à conduire un travail qui englobe tous les aspects du scandale
Nous avons voulu aussi, dans cette enquête, donner la parole à ces femmes en grande souffrance. Montrer combien leurs vies affective et professionnelle ont été malmenées à cause de douleurs physiques chroniques. Ce sont des femmes en réelle errance médicale.
JM : Sur le plan scientifique, nos recherches dévoilent que certaines études n'avaient pas pris en compte l’obsolescence des matériaux composant les Essure, leur corrosion. C’est, pense-t-on, ce qui serait aujourd’hui à l’origine de souffrances terribles des milliers de femmes en France et dans le monde. Des études sont en cours sur ce sujet, initiées d’ailleurs par des victimes qui paient pour comprendre ce qui leur arrive !
- Quelles sont les souffrances qu’endurent ces femmes?
DB : Concrètement, la liste des pathologies est longue : elles souffrent d’hémorragies récurrentes, de douleurs de la sphère féminine, de troubles articulaires et musculaires, neurologiques. De fatigue chronique. A notre surprise, nous avons rencontré des troubles ORL, inflammatoires donc. Quant aux cancers, leur étiologie étant complexe, nous ne pouvons rien affirmer.
Photo : Jacqueline Maurette, ancienne présidente du Club, et adhérente fidèle depuis ses débuts (crédit : Boris Heim, Club de la presse de Lyon, octobre 2022)
- Vous êtes les seules journalistes au monde à dénoncer ce scandale?
JM et DB : Non, au monde certainement pas ! Beaucoup de journalistes, notamment américaines ont produit de nombreux articles. Mais en France, c’est la première fois que paraît une telle somme. D’où le format livre (lire notre encadré).
- Pourtant, cette marque d’implants faisait bien l’unanimité, à l’époque, non?
JM : Ça avait l’air si simple comme dispositif de stérilisation, moins invasif que la classique ligature des trompes. Il en sera posé un million dans le monde dont près de 200 000 en France. Et pourtant, il y avait cette plainte des victimes qui cherchaient l’origine de leurs maux, ainsi que la parole de médecins peu nombreux, contraints de retirer, d’explanter ces dispositifs, en procédant à des interventions mutilantes. Nous avons rencontré aussi de chercheurs de disciplines diverses, toxicologues, spécialistes des prothèses.
C’est notre travail de journaliste, que de s'interroger sur l’origine des plaintes, sur les doutes de certains médecins. Être à l’écoute, consulter toutes les parties en présence, c’est notre métier. Surfer sur les polémiques ne suffit pas. Il faut enquêter : la “fameuse plume dans la plaie”, comme le disait Albert Londres. Il faut y consacrer du temps et de la place. La lecture des articles scientifiques nous a appris qu’il y avait des conflits d’intérêts potentiels. Les révélations que nous faisons, jamais publiées, s'inscrivent dans le cadre d’une radiographie d’un système conduisant inéluctablement à la catastrophe.
DB : L’autre aspect de cette histoire est le déni : la double peine pour les victimes. Un, elles souffraient de mille maux. Deux, elles étaient souvent prises pour des «malades imaginaires», des hystériques. Ce lien entre leur souffrance et les Essure a été longtemps dénié tant par une partie du corps médical et ses sociétés savantes enthousiasmées par cette innovation, que par les autorités de surveillance sanitaire. Elles ont été alertées, notamment l’ANSM (Agence Nationale de Surveillance du médicament) à plusieurs reprises, comme nous le démontrons. Et, là on retrouve à la fois l’asymétrie des savoirs ainsi que les biais de genre dont nous parlons dans notre livre : l’ignorance de la parole des victimes-femmes.
- En France, une centaine de députés avaient demandé un plan d’action, en juin 2021... Que s’est-il passé depuis? Où en est-on aujourd’hui ?
JM: Revenons à 2017, lorsque l’entreprise Bayer qui a racheté la start up américaine Conceptus [qui a mis au point le concept des implants,] a jeté l’éponge en se retirant du marché “pour des raisons commerciales”, l’ANSM (Agence nationale sanitaire du médicament) lors d’un comité scientifique temporaire, concluait encore à un bénéfice/risque positif. Aujourd'hui, l’Agence annonce qu’elle va lancer une recherche sur les Essure et leurs conséquences sur la santé des femmes implantées. L’an prochain… Tout cela est très lent. Très lourd.
- Et Bayer ?
DB : Bayer a renoncé à leur commercialisation après avoir dû débourser 1,6 milliard de dollars pour indemniser 39 000 victimes américaines. A “l’amiable” et en échange de leur silence. En France, la firme ferraille devant les tribunaux pour ne pas indemniser les victimes et leur inflige des procédures épuisantes. Malgré le travail de leurs avocats, elles sont encore à la peine devant la justice et ses experts. Notre livre de 170 pages n’était pas de trop, et l’histoire est encore à suivre.
- Vous vous attaquez à un géant de l’industrie médicale. Comment êtes-vous armées juridiquement?
DB et JM : C’est tout un système que nous mettons en cause. Notre livre a bien évidemment été relu par l’avocat de notre éditeur.
- Comment ressort-on d’une enquête marathon comme celle-ci?
DB et JM : En pleine forme ! Enfin presque... « Ecrire pour être lu », c’est notre métier. Et nous remercions notre éditeur, L’Atelier, d’avoir cru en notre projet.
Au Mépris du corps des femmes : le scandale des implants Essure (L’Atelier éditions) est disponible dans les librairies depuis le 20 octobre 2022 (17 EUR).
Encadré : Journalisme grand format
- Pourquoi avoir choisi un format long, comme ce livre, et pas un format «enquête-choc» dans un quotidien national ?
Jacqueline Maurette : Il fallait absolument découvrir ce qui s’était passé pour que l’on en arrive à une telle catastrophe sanitaire. J’ai commencé à suivre les actions de ces victimes à Lyon il y a quatre ans (NdlR : depuis 2018). A compiler la documentation internationale. Nous nous sommes rencontrées Delphine et moi, grâce à l’une des victimes, Anne-Cécile Groléas (ancienne conseillère municipale d’opposition à Vénissieux) dont les extraits du journal intime rythment tout notre ouvrage : nous pensions qu’un livre bien documenté permettrait au sujet de sortir de l'ombre et de faire trace. Notre éditeur, L'Atelier, nous a suivi. Notre enquête nous a menées jusqu’en Australie, sur la Côte Ouest des États-Unis, en Europe et dans tout l'Hexagone via internet et des interviews en face à face ou par téléphone.
Delphine Bauer : Comme nous sommes toutes deux spécialisées dans les questions de santé et interpellées par les biais de genre, nous nous sommes vite mises d’accord sur les pistes à explorer. Et elles étaient nombreuses. Nous avons essayé de couvrir les champs scientifiques, sociétaux, politiques, judiciaires pour analyser et construire le récit depuis la genèse de ce qui constitue un scandale. Le format livre s’est donc imposé pour rédiger et tirer tous les fils de cette enquête au long cours : elle a duré plus d’un an et demi . C’est une véritable saga que nous racontons, dont l’origine remonte bien avant la mise sur le marché du dispositif en 2002.
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