Webinaire du 26 janvier 2021 - PQR/Presse nationale avec Loris Guémart
Invité : Loris Guémart, journaliste à Arrêt sur images
C’est depuis une chambre d’hôpital – où il se remettait d’un pépin de santé – que le journaliste Loris Guémart du site Arrêt sur images a ouvert le bal 2021 des webinaires proposés à ses adhérents par le Club de la presse de Lyon et sa région. Près de deux heures d’échanges autour d’une pratique et d’une approche du métier stimulantes, qui ont fait l’objet d’une prise de note spontanée de Florian Espalieu, journaliste adhérent du Club présent à cette occasion, que nous relayons ici avec son accord.
Loris Guémart, tu es journaliste à Arrêt sur images (ASI). Nous souhaitions t’inviter notamment parce que tu es passé par la presse locale auparavant et que tu as posté un certain nombre de threads sur Twitter à ce propos. Déjà, est-ce que tu peux te présenter ?
À la base, je suis autodidacte, je n’ai pas fait d’école de journalisme, mais des études plutôt scientifiques, et je suis un grand consommateur de médias depuis toujours. J’ai d’abord commencé par créer un blog en ligne.
J’ai fait beaucoup d’erreurs (papiers trop longs, pas anglés, chiants). Mais ce fut aussi l’occasion d’apprendre à chercher l’info « à l’ancienne ». Et à faire de la veille.
Par la suite, j’ai été associé à un quotidien local, puis j’ai postulé pour travailler dans un hebdo local gratuit dans les Yvelines. J’ai pu grandir avec le journal qui est passé de 12 000 à 65 000 exemplaires.
J’étais en contact direct avec le patron, car il n’y avait pas vraiment de rédacteur en chef. Je suis devenu par la suite rédacteur en chef. Ce n’était pas un journal féroce, mais il y avait quand même une vraie ambition journalistique, on pouvait faire du temps long.
Ensuite j’ai créé avec un autre journaliste un nouveau journal à la Défense. La difficulté sur ce territoire était que beaucoup de choses s’y passent, mais personne ne veut que l’on dise quoi que ce soit. Nous avons été accueillis parce que le journal est un lien social. Mais ils ne voulaient pas trop que l’on parle des problèmes. C’était donc un peu un exercice d’équilibriste : il ne fallait pas qu’on se fasse mettre dehors, mais nous avions quand même pas mal d’audience, ce qui nous donnait un peu de marge de manœuvre. Les entreprises voulaient que l’on ne donne que des infos positives, mais leurs salariés pas forcément.
Ensuite, Daniel Schneidermann, qui me suivait sur Twitter, m’a fait entrer dans le processus de recrutement d’Arrêt sur images (ASI).
Comment décrirais-tu ton travail à Arrêt sur images ?
À ASI, on fait du « décryptage sur les récits médiatiques » ou plus clairement du journalisme sur le journalisme et les médias, mais sans être spécialisés. Concrètement, pour traiter un sujet, on va toujours partir de l’éditorial, c’est à dire en se posant la question de quelle a été l’influence de tel ou tel événement sur la ligne éditoriale des médias.
Je dirais que nous pratiquons un journalisme assez agressif, dans le bon sens du terme, c’est-à-dire que si on considère qu’il y a un problème, on va le dire. Tout en gardant une rigueur journalistique.
Le fait que tu aies un certain nombre de fils de discussion ouverts sur Twitter donne l’impression que tu ne mets jamais vraiment un point final à un article, que tu continues à le suivre, même longtemps après sa publication…
Je ne supporte pas les sujets pas suivis. À ASI, on ne fait pas des séries mais je mets un point d’honneur à rajouter quelques mots si nécessaire. Et lorsqu’il s’agit de pointer des dysfonctionnements, je ne blâme pas les journalistes, mais la hiérarchie.
Tu es assez productif à ASI puisque tu as sorti plus de 150 articles en 14 mois...
Oui, on est plutôt assez efficace en volume d’articles à ASI. Il faut dire qu’on est rarement sur un terrain physique, mais il y a un gros travail de veille sur le web, notamment sur Twitter et ensuite par téléphone.
J’utilise d’ailleurs beaucoup Twitter, qui est un peu le réseau social des journalistes. Je trouve qu’il y a une dynamique vertueuse qui s’installe quand on est identifié (et identifiable) sur Twitter. Et je m’efforce de répondre systématiquement aux gens qui m’écrivent par ce biais. Dans tous les cas, je considère qu’il faut remercier les gens qui nous interpellent, leur répondre… même si ce qu’ils nous envoient n’est pas forcément utilisable. Je crois en ces petites pertes de temps qui peuvent enclencher des dynamiques vertueuses et rapporter gros sur le long terme.
Quelle influence ont eu tes expériences précédentes sur ton approche du métier aujourd’hui ?
Nous avions pris le parti d’éliminer les papiers de taille moyenne. Ils prenaient quand même pas mal de temps pour un intérêt relativement faible. En les enlevant, on pouvait dégager du temps pour se focaliser vraiment sur les vrais sujets. Donc soit nous rédigions des brèves, soit des gros papiers.
Pareil pour les déjeuners avec les communicants : on leur répondait « Non merci ». Il faut rationaliser le temps. Et affirmer ses priorités. Et ce genre de rencontres est plus une perte de temps qu’autre chose, de mon point de vue.
Tu es très critique sur les reprises d’infos entre titres de presse. C’est un problème de confraternité ?
Je n’aime pas trop ce mot de « confraternité », qui est souvent utilisé dans le mauvais sens du terme. Je parlerais plutôt de crédibilité.
En tant que journaliste, je ne vois pas l’intérêt de refaire les mêmes sujets que les autres. Il y a des dizaines de sujets passionnants qui ne sont pas faits, on rate plein de choses. Donc perdre du temps à piquer des sujets, qui plus est sans citer le collègue… Idem pour ce qui est de bâtonner les dépêches AFP.
Tout ça pose aussi la question des sources : d’où sont issues les informations ? Par exemple, si une citation vient d’un communiqué de presse, autant le dire. Sinon, en lisant le papier, je vais avoir tendance à me dire : « Mais pourquoi le journaliste a pas posé cette question ? » Bah, parce qu’en fait, la source est un communiqué de presse. Sauf que si c’est pas dit, on peut pas excuser le journaliste.
On peut être critique envers la presse anglo-saxonne mais en général elle reste assez solide sur ces fondamentaux-là. Cela dit, le New York Times est aussi assez connu pour faire aussi des reprises sans citer les journaux locaux.
L’info nationale dans les journaux locaux a-t-elle un sens ?
Honnêtement, non. Si j’achète l’info locale, c’est pas pour avoir l’info nationale. À ce moment-là, pourquoi ne pas faire comme Mediapart ? C’est-à-dire une sélection de dépêches AFP qui colle à leur ligne éditoriale. Mais sans y passer du temps, c’est un copié-collé et identifié comme tel.
Le 1er janvier (2021), tu as publié sur Twitter une liste de tes tops mais aussi de tes flops sur l’année écoulée…
Oui, si on fait une sélection des bons articles, les « Tops », il faut aussi par souci de transparence l’accompagner aussi des « flops », les ratés. En règle générale, mieux vaut assumer ses erreurs que les cacher.
Tu fais beaucoup référence au journalisme anglo-saxon…
En France, on a des journalistes qui écrivent très bien – ce qui n’est pas mon cas, l’écriture d’un papier, c’est le pire moment pour moi. Mais les anglo-saxons restent meilleurs sur les fondamentaux : les faits comme base, la fiabilité des sources, la religion du document, l’exactitude des citations. Et surtout la structuration du récit : accroche, climax puis résolution. Avec l’alternance de paragraphes : citations, éléments de récit, éléments de contexte « chiants »… En France, on a souvent tendance à se laisser porter par une écriture très littéraire, mais sans forcément respecter ces fondamentaux.
As-tu des sujets au long cours à ASI, sur lequel tu travailles en parallèle d’autres articles que tu sortirais plus rapidement ?
Alors, à ASI, une fois qu’on se lance dans un article, en général, il sort vite.
Mais il y a aussi des sujets que j’avais déjà en tête depuis très longtemps. Une actu est souvent un motif, un prétexte pour traiter un sujet. Les journalistes sont d’ailleurs en règle générale un peu trop focalisés sur l’actu à mon sens. Le journalisme d’agenda étant un peu le paroxysme de ce type de journalisme. C’est aussi à nous de créer le sujet. Notre valeur ajoutée, elle est aussi de savoir se détacher de l’actu. Voire de la créer.
Y a-t-il des sujets qui t’intimident encore aujourd’hui, qui te font peur ?
Je ne dirais pas peur mais il existe des sujets complexes locaux, oui. Typiquement, les attaques de requins à la Réunion, un sujet sur lequel je viens de travailler. C’est un sujet de fond complexe, avec un traitement complexe, beaucoup d’interlocuteurs, avec une difficulté de faire le contradictoire de manière exhaustive. Autre exemple, la pollution dans le pays du Comté. La presse locale l’a traité mais pas en étant « agressif ». Du coup, la presse nationale l’a pas (ou peu) vu. À part Le Monde qui l’a traité, ce qui a d’ailleurs permis aux journaux locaux de revenir dessus.
Ce sont ces sujets qui sont souvent les plus intéressants au final. Quid de l’autocensure en locale ?
Alors on pourrait parler du ton. Parce que le lectorat est large, que l’on ne veut se mettre personne à dos. Mais on va avoir alors un ton un peu mou, assez conservateur, sans prise de position forte, qui finit toujours en quelque chose que je qualifierais de centre-droit.. Là, je vais donner un contre-exemple : La Montagne qui, un jour, a décidé qu’il y en avait ras-le-bol des problèmes de trains pour accéder à leur région. Ils ont fait plusieurs Unes là-dessus, ont interpellé le président de la SNCF, ont créé l’événement autour de la venue du ministre. Peut-être qu’il y aurait des choses à dire sur La Montagne vis à vis de Michelin, mais là, sur cette question précise du train, ils se sont réellement engagés.
Après, souvent, il y aussi une peur de la part des rédactions locales d’être privées d’information par les institutions. Mais en 2021, nous n’avons pas réellement besoin des institutions. On va faire de la veille terrain, on peut avoir les documents sur Internet, ou en passant par les oppositions. Au final, ça inverse un peu le rapport de force.
Animation du webinaire : Anthony Diao
Compte-rendu : Florian Espalieu
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