Les défis du métier : deux correspondantes à l'étranger témoignent
Tuerie d’Uvalde (Texas), arrestation par la police chinoise, censure, témoignages déchirants : la vie de journaliste TV n’est pas toujours de tout repos. Un article rédigé par notre stagiaire, Eva Benyahya-Blanc, pour notre rubrique "éducation aux médias" (EMI).
En duplex depuis la Cité des Anges, les journalistes TV Aviva FRIED (1) et Christèle JAIME (2) étaient dernièrement les invitées de Jérôme PLAN (3), journaliste résident «éducation aux médias» à la Bibliothèque municipale de Lyon. Le métier de ces correspondantes de presse? Proposer des sujets aux TV et radios françaises et francophones.
Déjà récompensées en 2021 par le «Prix du meilleur reportage étranger» (4) décerné par le Club de la presse de Los Angeles/Californie du Sud, elles sont une nouvelle fois nominées (résultat attendu le 25 juin 2022). Un public composé de seniors et d’étudiants était à la Médiathèque de Vaise début juin pour les écouter : ils n’ont pas été déçus.
Massacre d’Uvalde : «Garder la tête froide face à l’émotion»
Photo ci-dessus : devant l'école primaire d'Uvalde. Crédit : DR/BacktoyouProductions
Dans un entretien exclusif avec le Club, Aviva FRIED nous raconte ce qu’elle a ressenti en se rendant à Uvalde au lendemain de la fusillade qui a fait 21 morts dont 19 écoliers (5). «C’est toujours très compliqué de couvrir ce genre d’événements, car il faut garder la tête froide face à une émotion qui est à son comble», témoigne-t-elle. Tristesse, empathie, pitié : il faut avoir les épaules solides. «La vigilance pour rapporter les faits, c’est ce qu’on attend de nous», rappelle Aviva. «L’essentiel ? C’est de conserver son humanité avant toute chose. Les gens qu’on a en face de nous dans ces moments-là traversent la pire épreuve de leur vie, il faut les respecter». C’est ce juste milieu qu’un journaliste doit réussir à trouver.
Photo ci-dessus : Aviva Fried lors d'un "plateau" en direct à Uvalde. Crédit : DR/capture d'écran
«Juan, la rencontre la plus poignante de nos vies»
Lors d’un reportage (primé en 2021) sur les anciens combattants, les deux journalistes ont interviewé Juan, un vétéran de l’US Army (6) qui a perdu ses deux jambes et un bras en Afghanistan. «C’est, pour nous deux, le témoignage le plus marquant de notre vie» raconte Aviva FRIED. «Juan nous a complètement bouleversées : il nous a raconté le sang des combats, la vision atroce de sa jambe arrachée... mais malgré le drame qu’il a vécu, il conserve un optimisme incroyable, à toute épreuve». C’est un des défis du métier de reporter : «Un bon journaliste doit s’efforcer de rester le plus objectif possible, mais l’horreur de certains témoignages secoue notre empathie. Pas facile de conserver sa distance...» explique Christèle JAIME.
Photo ci-dessus : Juan l'ancien combattant est en haut à droite. Crédit: DR / BacktoyouProductions
Informer sous l’oeil de Big Brother...
Chine, mai 2014 : pour le 25e anniversaire de la répression du Printemps de Pékin (1989), les deux reporters partent dans la «nouvelle Silicon Valley chinoise» enquêter sur la mémoire du massacre de Tian’anmen. Et ça vire au cauchemar orwellien. Détectées par les caméras à reconnaissance faciale du Big Brother chinois, elles sont arrêtées, fouillées, séparées pendant 6 heures et interrogées dans des conditions déplorables. Le plus traumatisant ? «On nous a forcées à faire notre autocritique !» raconte Christèle JAIME. Elles tentent de riposter malgré le danger : «Quelle est la loi chinoise qui interdit les interviews ?». Réponse des policiers : «Ce n’est pas une question de loi, mais de culture en Chine». Pour esquiver cette autocritique, sa collègue explique leur ruse : «Comme on leur a parlé en anglais, une langue qu’ils ne comprenaient pas parfaitement, on a réussi à contourner l’exercice, à édulcorer nos propos».
La Chine, ces deux reporters l’ont vu sombrer d’un nouveau pallier vers la surveillance extrême : «Le pays a connu une période enchantée lors des JO de Pékin en 2008, mais l’élection de Xi Jinping a instauré un régime de contrôle massif » témoigne Aviva FRIED, qui conclut : «Exercer notre métier dans une dictature était devenu impossible. Je n’y retournerai pas».
La censure, même en France ?
De son côté, Jérôme PLAN raconte le choc qu’il a vécu après avoir été «censuré par la TV française». Retour dans les années 2000 : des violences éclatent au Tibet. Les Tibétains se révoltent contre les commerçants chinois, c’est le chaos. Jérôme PLAN est l’un des seuls professionnels sur place et propose un sujet à Paris. Surprise : c’est «niet» ! S’il ne comprend pas cette interdiction de la TV française, il suppose que la raison est qu’il ne faut pas mettre à mal la dialectique «Chinois=oppresseurs et Tibétains = oppressés». A méditer...
«Fixeur : la profession la plus dangereuse !»
Continuant à lever le voile sur les coulisses de son métier, Aviva FRIED a tenu à souligner le travail indispensable des fixeurs/fixeuses au service des correspondants à l’étranger : «ils sont toujours là, à nos côtés, même dans les moments les plus dangereux, mais on oublie souvent de les mettre à l’honneur : ils nous aident à trouver des sujets, des personnes à interviewer, nous ouvrent des portes. C’est un métier très ingrat et on ne parle jamais d’eux alors qu’ils sont au premier plan avec nous et que ce sont eux qui risquent le plus leur vie, car ils restent sur place une fois qu’on est parties !»
Hostilité sur les marches du Capitole
Les deux journalistes témoignent en chœur de l’hostilité grandissante envers les journalistes dans la plupart des pays où elles sont passées. Durant l’assaut du Capitole à Washington en 2021, elles filmaient (pour la télévision suisse RTS) les violences des militants pro-Trump et ont failli être agressées à plusieurs reprises : «Fake news, fake news !» hurlaient les militants pour exciter leurs troupes et, ainsi, empêcher Aviva et Christèle, qu’ils pensaient être de la presse américaine, de travailler. «Nous, on leur répondait : No, no, we’re Swiss press ! et ça nous a sauvé la mise pas mal de fois, car la presse helvète est perçue comme neutre par les trumpistes, contrairement à la presse américaine » se souvient Christèle JAIME.
«Quels conseils pouvez-vous donner à vos futurs confrères et consoeurs?», demande alors une étudiante en journalisme aux deux reporters. Réponse d’Aviva FRIED : «Changez de voie et ne devenez surtout pas journaliste...». Lancée sur un ton humoristique, la remarque voulait souligner une vérité : malgré les exigences et les risques du métier, les journalistes souffrent aujourd’hui de la méfiance, voire d’une forte défiance du grand public. Sans parler de conditions de rémunération et de précarité. Mais ça, c’est un autre débat.
Photo ci-dessus: Christèle Jaime (à g.) et Aviva Fried, journalistes françaises installées en Californie du Sud. Crédits : DR/BacktoyouProductions
Note de l’autrice (Eva Benyahya-Blanc, 20 ans, stagiaire au Club) : Cette rencontre organisée dans le cadre de La Fabrique de l’Info, le programme d’EMI de la BML/Bibliothèque Municipale de Lyon, m’a permis de découvrir les réelles difficultés rencontrées par certains journalistes au quotidien. J’ai été surprise, après une rencontre avec le sociologue des médias Jean-Marie CHARON (7), de voir qu’un métier si exigeant et riche était, aujourd’hui, tellement dévalué. J’admire ces deux reporters pour leur curiosité et leur engagement humain. Des valeurs qui semblent de plus en plus rares à l’heure de la «perte de sens» que dénoncent des spécialistes comme Jean-Marie CHARON. Je comprends maintenant pourquoi on voit actuellement se développer des ateliers «d’éducation aux médias et à l’information» (EMI)... Il faut que le grand public comprenne que le métier d’informer n’est pas anodin: ce métier est difficile, mais indispensable à la société.
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NOTES
(1) Aviva FRIED a étudié à l’ESJ Lille avant de devenir rédactrice. Elle est cofondatrice de BackToYouProductions (agence de contenus TV francophones basée à Los Angeles) avec Christèle JAIME
(2) Christèle JAIME a étudié à l’ESJ Paris avant de devenir JRI. Elle est cofondatrice de BackToYouProductions http://backtoyou.media/
(3) Basé à Lyon, Jérôme PLAN est journaliste indépendant, fondateur du média 99 (plateforme de documentaires sous-titrés en 6 langues). Il est journaliste résident en charge de projets d’EMI dans le cadre de «La Fabrique de l’Info» , le programme d’EMI de la Bibliothèque Municipale de Lyon.
(4) Chaque année, un jury nommé par le Club de la presse de LA récompense les meilleurs reportages en décernant les South California Journalism Awards. Christèle JAIME et Aviva FRIED ont remporté le prix l’an dernier pour leur reportage « Covid19, une maladie de pauvres ? » (diffusé sur ARTE), auprès d'ouvriers agricoles américains très fortement précarisés par la crise. Commentaire final du jury : "A well-told story about undocumented farm workers whose struggles are compounded by COVID-19 pandemic. Backed by stunning photography and interviews, the reporter digs out the challenges of those who sustain America’s food-supply chain."
(5) Envoyée spéciale pour Europe 1 : son reportage est ici
(6) Ce reportage est nominé aux Southern California Journalism Awards, prix décernés par le Los Angeles Press Club. Il est nommé dans la catégorie meilleur reportage d’actualité réalisé par des correspondants étrangers. Retrouvez le témoighage de Juan ici
(7) Lire l’article du Club intitulé Journalisme, la grande désillusion ? (compte-rendu de la rencontre au Club avec le sociologue des médias Jean-Marie Charon, en mai 2022)
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Cet article a été rédigé par Eva Benyahya-Blanc, stagiaire, étudiante B2 en sciences politiques et relations internationales à HEIP Lyon, sous la supervision du délégué général du Club de la presse de Lyon.
Historique : un Prix Pulitzer au Club !
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