Talents d'adhérente : elle passe du journalisme d'actu au scénario de BD
Elle vient de sortir son quatrième album en librairies. En quelques années, la journaliste Sandrine Boucher (qui est également une des 13 administrateurs.trices du Club) est passée de la presse d’actualité pure et dure à l’écriture de scénario de BD documentaire. Mais, finalement, est-ce si différent ?
Quand avez-vous su que vous vouliez devenir journaliste ?
Dès mon stage d’observation de troisième dans un quotidien local, Loire Matin, qui a ensuite fusionné avec Le Progrès. Absolument tout me plaisait. Cela s’est imposé comme une évidence : je deviendrai journaliste. Je suis diplômée de Sciences Po Lyon, puis j’ai enchaîné avec un Master en Relations internationales en Grande-Bretagne, suivi d’une formation, en alternance, au CFJ.
Vous avez commencé votre carrière dans l’actualité pure et dure...
Oui, et je m’y suis véritablement éclatée pendant 15 ans. J’ai travaillé successivement pour les trois grandes agences de presse internationales : l’AFP, la britannique Reuters et l’américaine Associated Press. Je me souviens de mon émotion de la fois où j’ai envoyé mon premier « urgent », cette dépêche AFP de quelques lignes qui allait s’annoncer par un énorme « biiippp » dans toutes les rédactions du pays ! J’ai aussi bossé comme correspondante de plusieurs titres nationaux : Le Journal du Dimanche, Le Monde, Le Figaro, et aussi, mais, bon, pas en même temps (rires), L’Humanité. Enfin, j’été co-fondatrice de Tribune de Lyon en 2005, dont j’ai été la première rédactrice en cheffe, jusqu’en 2009.
Des moments marquants ?
J’ai beaucoup de souvenirs forts, certains durs, certains drôles, d’autres émouvants. J’ai eu les larmes aux yeux mais aussi piqué des fou-rires terribles... au palais de justice de Lyon. J’ai fait de nombreuses enquêtes qui m’ont passionnée : dans les affaires politico-judiciaires, les mouvements négationnistes, l’islamisme radical ou le monde de la prostitution. Parmi mes grands reportages à l’étranger, je me souviendrai longtemps de ma peur en Israël-Cisjordanie, pendant la deuxième Intifada, quand, avec le photographe Bruno Amsellem, nous avons dû quitter une ville en plein couvre-feu, la nuit, par les toits. Ou encore ce voyage à Auschwitz avec les derniers rescapé·es de la Shoah. En regardant l’espèce de gazon qui poussait alors dans les vestiges du camp, l’un d’eux m’avait confié : « A l ‘époque, s’il y avait eu de l’herbe, on l’aurait mangée ».
Pourquoi avoir décidé ensuite de changer de rythme ?
Le stress de l’actualité, c’est grisant, exaltant, mais paradoxalement assez routinier aussi. A partir de 2009, je me suis consacrée à la presse magazine « nature » : Terre Sauvage, Rustica, ou encore Les 4 saisons, de Terre Vivante. Donc avec une orientation déjà très affirmée vers les sujets sur l’écologie, les plantes, l’alimentation, l’eau... A la suite d’une formation professionnelle en réalisation de documentaires à l’INA, j’ai également monté une petite société de production audiovisuelle, L’Agence des Ours, qui produit des films sur les mêmes sujets.
J’ai incidemment rejoint fin 2016 l’équipe de Femmes ici et ailleurs, un magazine jusque-là publié par une association, pour professionnaliser la rédaction et développer le titre : augmentation de la pagination et du rythme de parution, nouvelles rubriques, introduction du dessin de presse et de l’illustration... Malheureusement la sortie en kiosque de Femmes ici et ailleurs, cet été (2022), a été un échec qui vient de conduire à sa disparition il y a quelques semaines.
Pendant ce temps-là, je me suis lancée dans la culture d’un « petit » terrain d’un demi-hectare (rires), pentu, en friche et plein de pierres. Au début, il y a quinze ans, je ne connaissais rien au jardin. J’ai passé un certificat de design en permaculture et beaucoup appris sur le tas pour mettre au point différentes méthodes de « jardinage du moindre effort » qui marchent bien. Je partage cette expérience dans deux livres publiés chez Terre Vivante.
Pourquoi les plantes ? Et la BD ?
J’ai eu la chance de pouvoir commencer à faire de la BD grâce à cette formidable initiative lyonnaise : la création, en 2015, des Rues de Lyon. C’est une série BD mensuelle de 12 pages sur l’histoire de notre région, publiée par L’Épicerie séquentielle, un collectif d’auteurs et d’autrices. J’ai écrit deux Rues de Lyon : Le Merdoduc, sur l’invention et la construction d’un véritable «pipe-line à caca» pour servir de fumier humain à la fin du 19e, et Le retour de la Monstrueuse de Lyon, du nom d’une variété de tomate locale. Donc déjà une histoire de plantes !
Ensuite, le fait d’avoir souvent le nez dans mon potager et ou au milieu des fleurs, m’a fait découvrir un univers fascinant et pourtant mal connu. Les plantes, on a l’impression qu’elles sont là pour assurer le décor. Et, dans le même temps, il y a tout un courant de retour à la terre, au soin avec des produits naturels, à l’alimentation à base de végétaux sauvages, etc. Sauf que beaucoup de savoirs de base ne sont pas, ou plus, là.
Résultat : des gens qui pensent que la permaculture se résume, en gros, à cultiver sur des buttes de terre ; d’autres qui tombent très malades en consommant des plantes sauvages qu’ils pensaient comestibles alors qu’elles sont mortelles, d’autres encore qui confondent une fleur de courgette avec une rose trémière... Ce n’est pas une critique ou un reproche : ces connaissances-là se sont perdues, comme, plus généralement, ce lien avec la nature qu’on cherche à reconstruire maintenant. D’où La folle histoire des plantes qui fait de la vulgarisation scientifique, exigeante sur le fond, légère et humoristique sur la forme. Le tome 1 est sorti fin 2019, le tome 2 en octobre dernier (2022), toujours chez Terre Vivante.
Vous ne parlez que de botanique ?
Pas du tout : avec Matthieu Ferrand, coscénariste et dessinateur, on a voulu au contraire varier les plaisirs. La folle histoire des plantes aborde bien sûr la biologie et la botanique, mais pas seulement. Il y a des épisodes sur la permaculture, l’histoire, la mondialisation, la littérature, l’économie... Le fil conducteur : apprendre en s’amusant. Le contenu scientifique est issu d’heures et d’heures de recherche et d’échanges avec des scientifiques, et l’ensemble est relu par une maitresse de conférences en biologie végétale. Notre seul « écart » vers la fiction est la trame narrative. On met en scène un tandem de voisin·es qui incarnent deux styles de jardinier·ères : Guy, retraité, qui cultive à l’ancienne et Églantine, idéaliste qui pense tout savoir après avoir regardé deux tutos sur YouTube. La connaissance est apportée par une tomate savante, baptisée « Azade » (qui veut dire libre en persan). Pour sauver sa peau et ne pas être mangée par Guy qui l’a cultivée, cette chère Azade va devoir raconter des histoires de plantes.
Je vois bien le clin d’oeil aux Mille et une Nuits... L’ensemble de la BD est aussi disponible gratuitement sur le web et sur Instagram. Pourquoi ?
Tout d’abord parce qu’il était important pour nous que cette matière soit accessible à tous et toutes. Nous sommes souvent sollicité·e par des enseignant·es de tous niveaux, depuis l’école primaire jusqu’à l’université, qui utilisent la BD comme support pédagogique avec leurs élèves, qui, visiblement adorent ! Le compte Insta de La Folle histoire cartonne. Ça nous a aussi permis d’avoir de jolies reprises dans la presse, dont le magazine Géo et Le Monde, qui ont pu mettre des liens directement vers les épisodes.
Et puis, c’est contre-intuitif, mais une BD accessible gratuitement en ligne se vend en fait bien mieux que l’inverse. La diffusion web donne de la visibilité et suscite l’envie de posséder l’objet-livre. Nous en sommes déjà au troisième tirage du tome 1, qui s’est vendu 9 à 10 fois mieux que dans nos rêves les plus fous.
Existe-t-il un lien entre le journalisme et le scénario de BD documentaire ?
La forme est différente, mais en fait je travaille exactement de la même manière : je définis mon angle, j’enquête, je fouille dans les archives, j’interviewe des expert·es et témoins, je vérifie et croise mes sources, j’élague, j’élague, j’élague, je structure mon récit et j’écris mon histoire. Finalement, cela revient toujours à la manière dont on répond à cette question : comment raconter le réel ?
Photos : portrait principal de Sandrine Boucher (Boris Heim, Club de la presse 2021). Autres photos : DR. Photo ci-dessus : Sandrine Boucher et Matthieu Ferrand, coscénariste et dessinateur.
Talents d'adhérents : il a créé un festival de reportage vidéo
Le Club est aussi la vitrine du talent de ses membres : dans cette rubrique, nous présentons des...
Talents d'adhérent: son livre-enquête reçoit un prix national d'éthique
Journaliste d'investigation, Raphaël Ruffier-Fossoul (qui est aussi vice-président du Club de la...
Talents d'adhérents : son livre reçoit un prix international prestigieux
(texte enrichi le 14 juin 2022, en fin d'article) Notre adhérent, le journaliste-chroniqueur...
Talents d'adhérents : il force l'Etat à verser une aide à la presse
Grâce au directeur du mensuel Mag2Lyon, l'Etat a été contraint, le 28 janvier 2022 , sur...
Talents d'adhérents : il tire des portraits enrichis en SEO
Le journaliste Dorothée Oké figure en page 46 de l’annuaire 2022. Son métier ? Proposer des...
Talents d'adhérents : son équipe décroche 2 prix professionnels
Notre adhérente Laurence Perez est la directrice de la communication de la Ville de Villeurbanne...